DOSSIER : BIG DATA, le pétrole du XXIème siècle

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NOUVEAUX MÉDIAS – Et si “envoyer un email c’était comme envoyer une lettre sans enveloppe qui sera scannée, analysée, stockée”. Voilà la vision du “Big Data” qu’Alexandre Valenti est venu soutenir auprès des étudiants du Master 2 Cinéma Télévision Nouveaux Médias. Après deux ans de recherche sur le sujet et un documentaire “un oeil sur vous, citoyens sous surveillance”, il présente les limites de l’exploitation des données, à rebours de toute la “techno béatitude” ambiante.

Qu’est ce que le Big data? Qu’est ce que ce “Pétrole de demain” dont l’exploitation permettrait d’atteindre une croissance quasi sans limite pour nos entreprises ? Quelle réalité se cache derrière ce concept ? Qui pour croire à cette nouvelle fable néo­libérale ? C’est précisément la démarche effectuée par Alexandre Valenti dans son documentaire, sans concessions. Plus de deux ans d’investigations acharnées ont été nécessaires à l’auteur pour nous livrer un réquisitoire froid et implacable sur le sujet du “Big Data”.

Aujourd’hui, l’ensemble des données générées par les internautes est trié, en temps réel. 70% des appels entre mobiles sont enregistrés et des milliers d’heures de webcam sont transcrits. Tous nos mails sont analysés ainsi que les positions GPS de nos appareils connectés, la commande d’un VTC ou l’achat d’une paire de Basket, participent à la production massive de données numérisées que l’on regroupent sous le terme de « Big Data ».

On définit le « Big Data » à partir de 3 V : « Volume » soit la quantité de données, « Variété » des formats analysés (photos, textes, vidéos) et «Vélocité» du traitement de données en permanence actualisées. Les logiciels recueillent un maximum d’informations sans tri préalable et considèrent objectivement les données de manière égale, d’intérêt équivalent.

Face à l’ampleur du phénomène deux visions s’affrontent. Pour certains, l’étude de nos informations personnelles atteint, de manière certaine, nos libertés individuelles.

Pour d’autres, le « Big Data » est une solution pour mieux cerner nos comportements. En ce sens, Paul Duan cofondateur de l’ONG BAYES IMPACT (spécialisée dans le l’utilisation des données à grande échelle) affirme que le Big Data peut être, à titre d’exemple, une solution au chômage de masse en France. Ainsi en exploitant les données de Pôle Emploi, des réseaux sociaux tel que Viadéo, en analysant les informations sur les personnes (parcours, formations, entreprises) et en utilisant de manière adaptée les données, le nombre de demandeurs d’emploi pourraient être considérablement diminué.

Mais quels sont les enjeux réels du Big Data ? Et quelles sont les limites à la robotisation du traitement des données ?

On dénombre aujourd’hui 2 millions de recherches effectuées sur Google par minute (sauvegardées durant 5 années) 48 heures de vidéo mises en ligne par minute sur Youtube. Et ces chiffres ne cessent de croître. 90% des données mondiales ont été crées ces deux dernières années. À la Nouvelle Orléans, le projet Nola, mis en place par les citoyens use des évolutions technologiques pour renforcer le niveau de sécurité des quartiers. Chaque habitant place des webcams autour de sa maison ou entreprise, qui sont directement reliées au centre de police via Internet. Ici, les citoyens créent eux­-mêmes les données diffusées sur le web.

Mais ces informations générées peuvent être déviées de leur fonction initiale. Alors qu’ils se pensent protégés, les habitants de Nouvelle Orléans sont aussi espionnés.

En 2001, aux Etats­-Unis est signé le Patriot Act. Sous couvert de contrer le terrorisme, le congrès américain autorise l’accès aux données des particuliers et entreprises sans en informer les utilisateurs. Cela pose un problème sur l’aspect éthique et juridique dans la collecte des données. Pour Alexandre Valenti « surveiller nos données, c’est faire de chacun d’entre nous un coupable en puissance».

LE CONTRÔLE DES INFORMATIONS, UN NOUVEAU POUVOIR…
Ainsi détenues à 80% par les GAFA ( Google, Apple, facebook, Amazon), nos données sont une source de profit inépuisable. Aujourd’hui, les GAFA réunissent, à eux 4, une capitalisation boursière de 2000 milliards $, plus importantes que les 4 plus grosses entreprises de pétrole dans le monde. Facebook est consulté par 1,4 milliards d’utilisateurs et le chiffre d’affaire d’Amazon a augmenté de 20% en 2014. Le « Big Data » est entrain de faire sa révolution, de créer de nouvelles autorités, de nouveaux modèles.

Ce que ne mentionne pas Alexandre Valenti, c’est que le « Big Data » permet aussi la création de nouveaux métiers. L’analyse des informations pour leur donner un sens : une valeur permet d’améliorer une offre commerciale, de gérer les risques, de diversifier un business model, d’améliorer un processus opérationnel etc.

Selon Alexandre Valenti, « le Big Data fait penser au Titanic, à l’époque, le paquebot est le plus rapide, le plus grand du monde et considéré comme insubmersible. » Parfois utilisé de manière constructive, le « Big Data » présente des risques.

La collecte et l’analyse de nos données intéressent les pouvoirs économiques et financiers. Mais jusqu’où sont­-ils prêts à aller pour nous influencer ?

En politique, nos informations sont aussi utilisées. En 2012, Mitt Romney (candidat politique aux Etats­-Unis) fait appel à un logiciel spécialisé dans l’analyse de données. Il repère ainsi, sur le Net, les donateurs les plus riches et récolte ainsi 350 k$ sans que ces derniers ne sachent comment ils avaient été approchés. Et cet exemple n’est pas unique. La législation sur l’utilisation des données reste très floue. De plus, les données de masse tendent à échapper aussi bien aux citoyens internautes qu’aux gouvernements. Pour contrebalancer la donne, le budget de la NASA entre 2001 et 2013 est doublé pour atteindre 40 milliards €. Et met en place un programme d’espionnage informatique qui sera mis à jour en 2013 par Edward Snowden. Face à cette surveillance incontrôlable, les internautes mettent en place des stratégies d’évitement. Mais la prévention est moins rapide que l’évolution des technologies. Aujourd’hui, nous possédons 6 objets connectés ; en 2020 en France nous en posséderons 30. Accrochées à nos poignets, les montres connectées, les smartphones, tablettes, sont sources d’informations inépuisables. Le secteur de l’assurance attend avec impatience nos informations médicales afin de se rapprocher « du risque zéro » en éliminant les cas « à risques ».

Face à cela, certains suppriment leur compte Facebook, d’autres utilisent des moteurs de recherche tel que « duckduckgo.com » (qui refuse de collecter nos données). Le « retargeting » – qui consiste à ramener le consommateur vers un site qu’il a quitté sans faire d’achat, par des publicités adaptées – est très prisé par les entreprises. Pour contrer ces robots, des internautes bloquent les cookies. Ainsi les citoyens perçoivent, de plus en plus le « Big data » comme une menace, qui risque de prendre le contrôle de notre quotidien en devançant en permanence nos envies ou en utilisant nos données pour dicter nos règles de vie, pour nous robotiser. Certains – comme Edward Snowden, Mario Costeja qui s’est battu pour le droit à l’oubli, Max Schenk qui combat pour la transparence des données, ou encore Aaron Swartz – développent une résistance citoyenne.

Mais «pour contrôler l’envahisseur, la meilleure solution reste de s’auto­-sécuriser afin d’agir comme contre­-pouvoir face aux Géants du Net.» conclut Alexandre Valanti. Pour le réalisateur, la prévention repose sur l’auto­-censure, une mesure radicale contre le narcissisme prégnant de notre société.

Marion Longuet

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